Nouvelle inspirée par l'univers des contes : un frère et une soeur partent se balader en forêt...
3ème prix du concours de nouvelles 2017 organisé par l'Université Paris 8 sur le thème "Eau".
Pour découvrir les textes lauréats, c'est par ICI.
For this story, I have been inspired by tales: a girl and her younger brother go for a walk in the forest...
Third prize of a competition organized by Paris 8 University. Theme : Water
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Moi je voulais juste voir si y avait des têtards dans le lac. C’était pas vraiment un lac d’ailleurs, plutôt un étang. Justine elle avait pas dit oui tout de suite, laissant traîner sa réponse dans sa tête, faisant mine d’avoir mieux à faire. Mais je savais bien qu’elle aussi voulait les voir s’agiter dans l’eau. Pour rejoindre le lac, faut d’abord longer la route en prenant garde aux voitures. Maman nous avait toujours dit de marcher en leur faisant face, pour les voir arriver, qu’on soit pas surpris.
On avait mis nos bottes et nos k-way, le ciel était encore tout gris de la pluie tombée. Juju a laissé un mot à maman avec un cœur à la fin, je m’en souviens. On voyait jamais nos parents avant dix-neuf heures, alors en rentrant de l’école, on faisait notre vie.
- Allez là, t’es pas prêt encore ? Je t’attends !
A chaque fois que l’un des deux était prêt avant l’autre, il disait ces mots d’un ton snob, pour énerver.
- T’as le pot ? compléta-t-elle en reprenant sa voix normale.
J’ai attrapé le bocal, celui qui avait contenu des cornichons et je lui ai tendu. Quand on est sorti, une voiture empiétait sur le trottoir, Juju a regardé à droite et à gauche, et a saisi ma main pour la contourner. On a croisé personne, que des chiens gueulards, mais sans qu’aucun visage n’apparaisse derrière un rideau. Y a pas grand-chose à y voir dans le village quand on connaît pas, l’arrêt de bus en bois qui sent le tabac froid, une vieille cabine téléphonique peuplée de faucheux, la statue d’un soldat, fusil pointé vers un ennemi imaginaire. La maison du bout c’est la plus moche. Devant y a une cour en triangle, bétonnée et grillagée, remplie de meubles à moitié cassés, de pneus, de ferraille, de jouets renversés. Mais on aimait bien passer devant, parce qu’il y avait Ralph. Ralph c’était un canard blanc, avec un bout de visage rouge boursouflé, comme brûlé. Maman, elle m’avait dit que c’était un canard de Barbarie, alors j’avais demandé où c’était la Barbarie. Elle avait rigolé, ça existe pas ce pays, d’Amérique du Sud il vient. Elle m’avait montré sur une carte, et j’avais imaginé toute la distance qu’il avait parcourue pour se retrouver enfermé ici, les pattes sur le béton. Quand il nous a vus Ralph, il a caqueté en se trémoussant de la queue. Il avait des petits yeux tout noirs en forme de billes. J’ai tendu le bras pour le caresser mais Justine elle a dit non. A chaque fois elle disait non, que ces bêtes là ça se caresse pas comme les chiens, mais à chaque fois j’essayais. On a tourné à droite pour suivre le chemin de terre entre le champ de miscanthus et la haie. La lumière s’est tamisée de vert. J’ai couru pour sauter dans une flaque, senti le liquide pénétrer ma botte droite, imprégner ma chaussette, de la même manière que le sopalin dans la publicité. Quand on a rejoint la lisière du bois, les arbres craquaient sous le poids des perles de pluies, l’expression de Justine, et j’imaginais les arbres porter des colliers.
- Bonjour.
En me retournant, j’ai découvert une femme qui sautillait dans notre direction pour éviter les flaques avec ses ballerines. Ca lui donnait l’air d’un moineau. Elle s’est arrêtée devant nous en gardant accrochées ses mains aux anses de son sac sur son épaule et en gigotant, j’ai pensé qu’elle voulait faire pipi. Elle portait beaucoup de maquillage et ça lui faisait deux amandes noires à la place des yeux.
Elle nous a regardés à tour de rôle pour finalement fixer Justine.
- Bonjour ! Vous faites quoi ? Vous êtes tout seuls ?
J’ai fixé le dos de ma sœur immobile.
- Non, elle a répondu.
Puis
- Y a notre père qui est pas loin.
Je sais pas pourquoi elle a répondu ça.
- Oh, vous le rejoignez alors ?
- Non. Il nous rejoint au lac.
- Le lac ?
Juju s’est retournée dans la direction du lac alors qu’on le voyait pas de toute façon de là où on se trouvait.
- Je peux vous accompagner ?
Un nouveau silence. Je me demandais pourquoi Juju mettait autant de temps à répondre.
- Si vous voulez mais il va pas tarder.
- Je serais plus rassurée de pas vous laisser seuls. Et puis, je suis jamais allée jusqu'au lac. On pourrait faire ça ensemble, ce serait sympa non ?
Juju lui a tourné le dos pour rentrer dans la forêt et on a marché tous les trois côte à côte. Les arbres accrochés les uns aux autres formaient un tunnel de branches au dessus de nos têtes. J’ai senti l’humidité dans l’air et ça sentait bon la terre, une de mes odeurs préférées avec l’essence de la station service et le tipp-ex, des odeurs que j’aimais inspirer le plus fort possible, pour en remplir mon corps.
- Je suis Nathalie, Vous habitez le village c’est ça ?
- Oui mais on va à l’école à Boimont, j’ai dit sans réfléchir.
Juju a serré ma main fort, j’ai crié « Aïe ».
- J’habite à Boimont depuis six mois, je travaille au magasin de vêtements à côté du supermarché. Vous connaissez non ?
- On a déjà acheté des trucs là-bas, a dit Juju en gardant la tête baissée. On vous a jamais vue.
- Si. Enfin sûrement. Votre papa il est venu plusieurs fois, c’est celui avec des lunettes ? Adel ?
- Comment tu sais ? j’ai dit.
Elle a souri.
- Je suis un peu magicienne. Vous avez quel âge ?
- Sept ans j’ai dit.
Justine n’a pas répondu.
- Et toi ?
- Onze.
- Onze ans trois quarts, j’ai complété.
- Ca veut dire que tu vas bientôt fêter ton anniversaire ? Je pourrai te faire un cadeau si tu viens au magasin.
- C’est pas la peine, j’en ai pas besoin, a répondu ma sœur.
Quand on est arrivé au lac, l’eau était montée avec la pluie et saupoudrée d’une sorte de cendre. J’ai posé le bocal à côté de moi. Juju s’est accroupie.
- Y en aura pas cette année on dirait.
- Vous cherchez quoi ? a dit la femme.
- Des têtards.
La femme a fouillé dans son sac à main chic qui ressemblait à une selle de cheval pour en sortir un rouge à lèvres et l’étaler sur sa bouche formant deux pétales de coquelicot. Ses doigts osseux ressemblaient à de grandes pattes d’araignée. Ca m’a fait peur et j’ai regardé ailleurs.
- Il est où votre père ? C’est normal qu’il vous laisse seuls aussi longtemps ?
- Il a dû trouver des tricholomes, a dit Juju en attrapant une pierre pour la lancer le plus loin possible dans le lac.
- Des quoi ?
- Champignons.
La femme a hoché la tête. Ca se voyait qu’elle était pas d’ici et connaissait rien à la nature, elle aurait su sinon que c’était trop tôt pour en trouver.
- Je vais vous montrer comment faire des ricochets si vous voulez ?
Elle a cherché un caillou.
- Pas la peine je sais faire, a dit Justine.
- Voilà, celui-là, parfait.
Elle a plié ses jambes et penché son corps en arrière mais au moment de finir l’action, son sac a dégringolé de son épaule et le caillou a coulé.
- Je suis un peu rouillée.
Elle a rigolé en tournant la tête et en coinçant un ongle entre ses ongles.
- Faut pas ronger ses ongles, j’ai dit.
- Tu l’as jamais fait toi ? Elle a répondu.
- Si, mais plus maintenant, je suis plus un bébé.
- C’est quand on a des soucis. Quand t’as une mauvaise note à l’école ou quand ton papa il est pas gentil. Tu vois les papas ils sont comme ça des fois, ils agissent pas toujours bien. Tu comprends ?
J’ai pas compris. Elle arrêtait pas de parler, on aurait dit qu’elle supportait pas le silence.
- Vous êtes sûrs qu’il y a rien là-dedans ? Vous avez bien cherché ?
Elle s’est accroupie et m’a fait un geste autoritaire.
- Allez regarde avec moi.
Je me suis baissé et elle a déposé sa main sur ma nuque.
- C’est plus facile à deux.
- Il faut qu’on le rejoigne maintenant, a dit Justine restée debout.
La femme gardait ses doigts accrochée à moi. J’étais tellement près de la surface que je pouvais voir les détails de mon visage et puis j’ai senti cette odeur de chien mouillé qui se dégageait de la vase au fond et cette odeur c’est devenu celle de la femme.
- Ils ont pas disparu ces têtards quand même.
Elle a tourné la tête vers moi en souriant mais j’ai bien vu que ses yeux étaient tristes, brillants, des gouttes de pluie. Elle a décollé ses doigts de mon cou pour caresser mes cheveux et s’est levée, englobant ma tête de sa main araignée.
- Vous parlez pas beaucoup dis donc.
- Faut pas parler aux inconnus, elle a dit maman, j’ai répondu fier de moi.
- Je suis pas une inconnue vous savez.
Puis en se tournant vers Justine.
- Je suis importante.
J’ai passé le bocal dans l’eau qui s’y est engouffrée dans un bruit sourd, et je l’ai soulevé à hauteur du ciel pour observer le liquide rempli de petites poussières marines.
- Il y a rien dans le lac, je t’ai dit Jonathan, on va y aller maintenant. Au revoir Madame, a dit Justine.
- Si, y en a, c’est obligé ! j’ai crié. Pourquoi y en aurait pas ?
Justine avait raison, elle avait toujours raison. On est jamais retournés au lac après ça.
Une pluie fine a commencé à tomber, marquant la surface de petits cercles.
- C’est à cause de vous qu’il ne vient plus au magasin.
Et pendant qu’elle disait ça, deux filets d’eau coulaient sur ses joues qu’elle a écrasé avant de frapper ses paumes de main l’une contre l’autre, nous faisant sursauter.
- Allez on va le rejoindre tout de suite, que je lui dise bonjour, et avant qu’il pleuve trop. Il est où exactement ?
J’avais froid aux pieds, j’en avais assez, je voulais rentrer.
- Vous avez perdu votre langue ? Elle nous fixait. Il est parti par où ?
Justine a pointé du doigt la partie du bois la plus sombre aux arbres étroits collés les uns aux autres.
- On veut rentrer, j’ai dit fort.
- Non pas tout de suite, d’abord on va trouver ton père. Allez !
L’eau du bocal remuait dans tous les sens. La pluie résonnait sur les feuilles. Je savais qu’en continuant on arriverait aux anciens forts des Allemands. J’en avais assez de marcher alors j’ai imaginé les soldats cachés en train de nous surveiller.
- Vous êtes sûrs qu’il est par là ?
- Oui, trouve des ronds de sorcière dans ce coin a répondu Justine.
La femme a légèrement grimacé, Juju a fait un cercle dans l’air pendant que je m’asseyais sur une souche. La femme en me découvrant s’agenouilla devant moi.
- Qu’est-ce que t’as ? T’es fatigué ? On a bientôt fini, t’inquiète pas.
Les branches se resserraient autour de nous. Je sentais une bulle de faim grandir dans mon ventre. Justine a tendu son bras pour m’arrêter. Devant nous alors, un grand fossé.
- Ah ! il est là en bas, a dit ma sœur.
Je voulais tellement qu’il soit là mais je voyais rien avec la pluie et l’obscurité. La femme nous a dépassés pour s’arrêter au bord en penchant la tête.
- Où ça ?
Justine a pris de l’élan, tendu ses bras, et l’a poussée au milieu du dos. La femme a roulé dans la pente, se cognant aux buissons et arbustes, sans pousser un cri. Ma sœur m’a tiré derrière elle. J’ai compris qu’il fallait courir. Le bruit des feuilles sous nos pieds remplissait mes oreilles, tel un téléviseur brouillé. Mon cœur s’est transformé en hérisson. La main de ma sœur était moite dans la mienne. J’ai jamais couru aussi vite depuis. De retour au lac, on a fait une pause, ça ressemblait au bord d’une falaise parce que l’eau était toute noire, complètement immobile, ça faisait comme du vide. J’entourais si fort le bocal que j’avais peur qu’il se casse et que le verre me coupe de partout. Justine tournait tout le temps la tête derrière elle en respirant fort. On a repris la course jusqu’à sortir de la forêt. Le vent poussait les branches de miscanthus dans le champ. J’avais du mal à voir devant moi, j’ai trébuché, faisant rouler le pot sur le bord du chemin. Justine a soufflé sur mes éraflures. J’ai repris le bocal. Devant la maison du bout du village, on s’est enfin arrêtés. Ralph ressemblait à un petit fantôme dans l’obscurité. Il s’est rapproché en dressant son cou et en gonflant ses plumes et quand j’ai croisé son regard, il a claqué les deux lamelles de son bec l’une contre l’autre.
- On lui a fait peur.
- Tu dis n’importe quoi ! Et laisse ce truc à la fin, y a rien dedans, a dit Justine.
J’ai pas reconnu sa voix, comme étouffée par un tissu. Elle m’a arraché le bocal pour le balancer dans un fourré avant de s’éloigner.
- Attends-moi !
J’ai couru pour serrer sa main. Elle arrêtait pas de renifler. Je me souviens que j’ai pensé que si le bocal s’était pas cassé, je reviendrais le chercher plus tard, et qu’il y aurait peut-être dedans un têtard né de la cendre.
A.S-D.
Couverture livret ©Vincent Dequin